Imaginez un propriétaire qui occupe une maison par la force, chasse les vrais propriétaires et menace quiconque conteste sa présence. Peut-il légitimement invoquer son "droit de propriété" ? C'est exactement le dilemme que pose l'Iran sur la scène internationale.
Depuis 1979, le régime théocratique iranien maintient son pouvoir non par le consentement populaire, mais par un système sophistiqué de répression. Pourtant, lorsque des tensions éclatent avec Israël ou l'Occident, ce même régime brandit le principe de souveraineté nationale comme un bouclier moral.
Le système iranien fonctionne comme une démocratie de façade. Les élections existent, mais seuls les candidats approuvés par le Conseil des gardiens - un organe non élu - peuvent se présenter. C'est comme organiser un concours où les juges choisissent d'avance les participants et le gagnant.
Cette illusion démocratique masque une réalité brutale. Depuis des décennies, les opposants politiques sont systématiquement éliminés, emprisonnés ou contraints à l'exil. Les manifestations pacifiques sont écrasées dans le sang. Le mouvement "Femme, Vie, Liberté" de 2022 a coûté la vie à plus de 500 manifestants, dont de nombreux adolescents.
Mahsa Amini, cette jeune femme de 22 ans tuée par la police des mœurs pour un hijab mal ajusté, est devenue le symbole d'un peuple en otage. Sa mort a révélé au monde entier ce que les Iraniens vivent quotidiennement : un État qui considère ses citoyens comme des ennemis.
La souveraineté, dans sa conception classique, découle du peuple. Un gouvernement tire sa légitimité de ceux qu'il gouverne. Mais que se passe-t-il quand un régime invoque ce principe tout en opprimant systématiquement sa population ?
Le régime iranien exploite habilement cette ambiguïté. Face aux critiques internationales, il dénonce "l'ingérence étrangère" dans ses "affaires intérieures". Quand Israël bombarde des installations iraniennes, Téhéran crie à la violation de sa souveraineté. Cette rhétorique trouve même des échos sympathiques chez certains observateurs occidentaux soucieux de respecter le droit international.
Pourtant, cette souveraineté est une fiction. Comment un régime peut-il revendiquer la représentation d'un peuple qu'il bâillonne, emprisonne et tue ? C'est comme si un ravisseur prétendait parler au nom de ses otages.
L'Occident se trouve pris dans ses propres contradictions. Quand Justin Trudeau critique les politiques familiales de l'Italie - pourtant adoptées démocratiquement - il s'attire des reproches sur l'ingérence. Mais quand il s'agit de l'Iran, où aucune voix dissidente ne peut s'exprimer librement, les mêmes principes de non-ingérence sont invoqués.
Cette incohérence révèle un problème plus profond : nous traitons de la même manière des gouvernements légitimes et des régimes oppressifs. Nous accordons le même respect diplomatique à une démocratie imparfaite qu'à une théocratie brutale.
Cette attitude n'est pas seulement hypocrite, elle est dangereuse. Elle légitime indirectement la répression en lui donnant un vernis de respectabilité internationale.
Faut-il alors soutenir les bombardements israéliens contre l'Iran ? La réponse n'est pas si simple. Les interventions militaires externes créent souvent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent.
Les frappes israéliennes, même si elles visent des installations militaires, peuvent paradoxalement renforcer le régime iranien. Face à une "menace extérieure", les dirigeants justifient plus facilement la répression interne au nom de la "défense nationale". Le peuple iranien se retrouve doublement victime : opprimé par son gouvernement et bombardé par ses ennemis.
De plus, ces actions militaires ne libèrent pas la population. Elles peuvent même retarder un changement démocratique en donnant au régime un prétexte pour durcir encore sa répression.
Parmi les pays du G7, seul le Japon a clairement dénoncé les frappes israéliennes contre l'Iran. Cette position unique n'est pas le fruit du hasard : elle découle d'une compréhension profonde, forgée dans l'histoire, que la fin ne justifie jamais les moyens.
Le Japon sait mieux que quiconque ce que signifie être bombardé "pour son propre bien", même si le Japon reconnaît ses propres crimes de guerre durant la deuxième, ils reconnaissent aussi que plusieurs des bombardements incendiaires sur leurs populations civiles étaient des crimes de guerre aussi.
Cette expérience historique a enseigné au Japon une vérité fondamentale : même face au pire des régimes, même avec les meilleures intentions, la violence indiscriminée demeure un crime. Le Tribunal de Tokyo, qui a jugé les criminels de guerre japonais, a établi un principe que le Japon n'a jamais oublié : aucune cause, si juste soit-elle, ne peut légitimer les crimes de guerre.
Cette sagesse douloureusement acquise explique pourquoi Tokyo maintient une position ferme : dénoncer un régime oppressif comme celui de l'Iran ne donne pas le droit de bombarder son territoire. La dictature théocratique iranienne peut être condamnée sans que ses installations soient détruites par des missiles étrangers.
Le contraste avec les autres membres du G7 est saisissant. Alors que ces derniers se contentent d'appels tièdes à la "désescalade", le Japon ose dire ce que beaucoup pensent tout bas : bombarder l'Iran, même pour affaiblir un régime détestable, reste un acte d'agression qui viole le droit international.
Cette position japonaise révèle l'hypocrisie occidentale sous un jour nouveau. Comment peut-on simultanément dénoncer les violations des droits humains en Iran et fermer les yeux sur les violations du droit international commises contre l'Iran ? Le Japon nous rappelle qu'on ne construit pas la justice sur l'injustice, qu'on ne défend pas le droit en le violant.
Le cas iranien nous force à choisir : défendons-nous les principes abstraits du droit international ou les droits concrets des peuples opprimés ? Respectons-nous la "souveraineté" des tyrans ou la dignité de leurs victimes ?
La vraie souveraineté appartient au peuple iranien, pas à ses oppresseurs. Reconnaître cette réalité n'est pas de l'ingérence, c'est de la justice. Et tant que nous continuerons à fermer les yeux sur cette distinction fondamentale, nous resterons complices d'un système qui transforme des nations entières en prisons à ciel ouvert.
L'Iran mérite mieux que ses dirigeants actuels. Son peuple mérite mieux que notre indifférence diplomatique. Il est temps d'aligner nos principes sur nos valeurs et de cesser de confondre stabilité géopolitique et justice morale.