L'un des piliers des théories contemporaines sur le genre affirme que celui-ci n'est qu'un "construit social" - une invention culturelle sans fondement biologique réel. Cet argument, bien qu'intellectuellement séduisant, contient une contradiction fondamentale qui mérite d'être examinée.
Si le genre est vraiment un construit social, alors par définition, ce sont les mécanismes collectifs de reconnaissance et de catégorisation qui le déterminent. Une société construit ses catégories à travers un consensus largement partagé, basé sur des critères observables et reconnus par la majorité. Or, invoquer le construit social pour justifier une identification personnelle qui va à l'encontre de cette reconnaissance collective revient à nier la nature même du processus social.
Dire que le genre est un construit social parce que les mots "homme" et "femme" sont des inventions linguistiques, c'est commettre une erreur conceptuelle fondamentale. C'est confondre le signe et ce qu'il désigne. Certes, les langues sont des constructions sociales, mais elles pointent vers des réalités observables ou expérientielles. Décider individuellement qu'on parle chinois ne suffit pas à parler chinois si personne d'autre ne reconnaît cette langue comme telle.
De même, les catégories de genre, bien qu'exprimées différemment selon les cultures, reposent sur des bases biologiques que les sociétés reconnaissent collectivement. Les rôles et attentes peuvent varier, mais la catégorisation de base reste remarquablement stable à travers les cultures et l'histoire.
Voici le cœur du problème : si 99% d'une population catégorise spontanément une personne comme appartenant à un sexe donné, basée sur des signaux biologiques et comportementaux reconnus collectivement, alors selon la logique même du construit social, c'est cette reconnaissance majoritaire qui devrait définir la catégorie.
L'auto-identification ne peut pas créer un construit social à elle seule. Un construit social nécessite, par définition, une construction collective. Prétendre le contraire revient à transformer le concept de "social" en quelque chose d'individuel, ce qui est une contradiction dans les termes.
L'exemple des micro-expressions illustre parfaitement ce mécanisme. Une personne peut prétendre ne pas être en colère, mais si tous les observateurs perçoivent les signes de colère dans sa gestuelle, ses expressions faciales et son ton, la réalité sociale de son état émotionnel est établie indépendamment de ses déclarations.
De façon similaire, la perception sociale du sexe s'appuie sur une multitude de signaux : morphologie, voix, démarche, phéromones. Ces indices créent une impression globale que nous décodons instinctivement, souvent en dessous du seuil conscient. Cette lecture collective n'est pas arbitraire - elle s'est développée sur des millénaires d'évolution sociale et reste remarquablement fiable.
L'argument selon lequel l'existence de cas ambigus invalide toute catégorisation est fallacieux. Que certaines femmes soient infertiles n'efface pas la distinction entre hommes et femmes, de même qu'un gris très foncé ne devient pas blanc parce qu'il n'est pas parfaitement noir.
Les exceptions confirment souvent la règle plutôt qu'elles ne l'abolissent. Le fait qu'on puisse identifier ces cas comme "exceptionnels" prouve justement l'existence d'une norme reconnaissable. Une société fonctionnelle doit pouvoir maintenir des catégories utiles tout en gérant les cas limites avec nuance.
Les sociétés humaines ont développé des mécanismes sophistiqués pour distinguer l'appartenance authentique à une catégorie de sa simple imitation. Cette capacité discriminante fonctionne généralement de façon fiable, même si elle n'est pas infaillible.
Reconnaître qu'une personne "performe" un genre n'équivaut pas à reconnaître son appartenance à ce genre. C'est pourquoi les efforts pour "passer" dans l'autre catégorie demandent souvent des modifications si importantes - il faut modifier suffisamment de signaux pour tromper cette lecture collective instinctive. Mais même alors, quelque chose subsiste souvent que les observateurs perçoivent intuitivement.
La contradiction au cœur de l'argument du construit social révèle un problème plus profond : l'utilisation sélective de concepts philosophiques pour justifier des positions qui, ironiquement, vont à l'encontre de ces mêmes concepts.
Si nous acceptons vraiment que le genre est un construit social, alors nous devons accepter que ce sont les mécanismes sociaux collectifs - pas les déclarations individuelles - qui le définissent. Si nous rejetons cette reconnaissance collective, alors nous devons reconnaître qu'il existe quelque chose de plus fondamental que le "social" dans la détermination du genre.
Une approche intellectuellement honnête exige de choisir : soit nous prenons au sérieux la nature collective des construits sociaux, soit nous abandonnons cet argument pour d'autres bases. Mais nous ne pouvons pas avoir les deux à la fois sans sombrer dans l'incohérence logique.