L’illusion de la séparation : réincarnation, justice et pollution psychique
Le refus de croire à la possibilité de la réincarnation n’est pas sans conséquences. Il induit une série d’attitudes mentales et sociales qui, si elles ne sont pas toujours cruelles en elles-mêmes, permettent à la cruauté de proliférer sans entrave. Or, parmi les nombreuses implications de cette négation, aucune n’est aussi destructrice que le monstre intérieur qu’elle autorise par la rationalisation de la torture et ses conséquences sur l'après-vie.
Prenons un exemple simple mais redoutable : celui d’un individu qui souhaiterait que la fin de vie d’un criminel soit marquée par la souffrance, afin que le mal commis soit « payé ». Derrière cette pulsion vengeresse se cache une double illusion : d’abord celle que la télépathie ou les interconnexions psychiques n’existent pas, et ensuite celle que l’individu est un îlot séparé, sans lien avec l’environnement subtil qui l’entoure.
Car si la pensée peut rayonner — et rien ne permet de l’exclure en toute rigueur — alors vouloir générer un champ mental de haine dans un voisinage, c’est un peu comme construire un incinérateur de déchets toxiques à côté de son puits. C’est souiller l’eau commune. Il y a là une forme d’écologie psychique fondamentale à reconnaître : ce que nous générons mentalement ne disparaît pas dans le vide. Cela imprègne, cela affecte, cela contamine.
C’est ce que j’appelle l’illusion de séparation. L’illusion que ce qu’on fait à l’autre s’arrête à l’autre. L’illusion que l’esprit individuel est clos sur lui-même, et que ses actes — mentaux comme physiques — n’ont d’écho que dans un corps isolé. Or cette illusion se double, chez les matérialistes stricts, d’une seconde : celle de la discontinuité de la conscience. La négation de la réincarnation, c’est aussi celle de la persistance de l’âme, donc de la responsabilité au-delà de la tombe, et donc — d’une certaine manière — du lien de cause à effet à l’échelle de plusieurs vies.
Mais si l’âme persiste, non seulement jusqu’à la maîtrise de la forme — comme le postulent de nombreuses traditions — mais également entre deux vies, dans ces états intermédiaires que certains appellent bardos, rêves ou cauchemars collectifs, alors les actes que nous posons dans cette vie colorent le tissu subtil dans lequel nous baignons tous. C’est une forme de pollution énergétique, mentale, qui dépasse les frontières individuelles pour toucher la planète entière — ou même le système solaire, si l’on ose penser en termes de conscience cosmique.
De ce point de vue, l’acte de torture — qu’il soit physique ou psychique, immédiat ou distillé dans le temps — crée un nœud sombre dans la trame collective. Et le nier, c’est se condamner à y participer sans même le savoir.
En ce sens, la réincarnation fonctionne comme un pari de Pascal inversé : si elle est vraie, alors il vaut mieux vivre en assumant notre interdépendance profonde ; si elle est fausse, il reste plus prudent — et plus sain — d’agir comme si elle l’était, car les conséquences de la cruauté sont de toute façon destructrices, même dans un monde strictement matérialiste.
Cela nous conduit à réhabiliter une justice non punitive mais transformatrice : une justice qui, plutôt que d’isoler et de briser les êtres, cherche à les restaurer, à les soigner, à les intégrer. Une justice humaniste, oui — mais surtout holistique, qui prend en compte non seulement l’individu mais le champ invisible dans lequel il évolue. Une justice qui ne se contente pas de punir les ténèbres, mais qui allume une lumière.
Car au fond, mieux traiter les malfaiteurs n’est pas seulement une question d’efficacité ou de morale : c’est une question de salubrité mentale collective. Le mieux que nous traitons ceux qui tombent, le moins ils chuteront. Et cela est vrai qu’on croie ou non à la réincarnation.
Mais si elle existe, alors la haine est une dette qu’on contracte à long terme. Et la compassion, une semence qu’on lègue à notre propre avenir.