L'anecdote est savoureuse : lors d'un test de dégustation à l'aveugle entre Pepsi et Coca-Cola, organisé à La Ronde et subventionné par Pepsi, c'est Coke qui remportait discrètement la palme. La raison avancée ? Les bouteilles de deux litres, ouvertes depuis un moment, laissaient un Pepsi éventé et tiède, permettant au goût plus caramélisé du Coke de triompher. Cette observation, loin d'être anecdotique, illustre parfaitement comment notre perception du goût est une symphonie complexe, où la saveur intrinsèque d'un aliment n'est qu'un des nombreux instruments. Deux facteurs clés, l'effervescence et la température, modulent drastiquement notre expérience gustative, en particulier avec les boissons gazeuses.
L'effervescence : bien plus que des bulles
L'effervescence, ou carbonatation, est la sensation pétillante provoquée par le dioxyde de carbone (CO₂) dissous dans un liquide. Lorsque la pression baisse (à l'ouverture de la bouteille) et que la boisson se réchauffe, le CO₂ s'échappe sous forme de bulles. Mais l'impact de la carbonatation va au-delà du simple chatouillement. Les bulles transportent des composés aromatiques volatils vers notre nez, amplifiant l'odeur et donc une grande partie de ce que nous percevons comme le "goût". De plus, le CO₂ réagit avec l'eau pour former de l'acide carbonique, qui stimule les récepteurs de la douleur et du toucher (le système trigéminal) dans notre bouche, créant une sensation de piquant et de mordant. Certaines études suggèrent même que l'acide carbonique active les récepteurs du goût acide.
Dans le cas de notre test, si Pepsi est souvent perçu comme ayant une saveur initiale plus vive ou "pointue", en partie grâce à une carbonatation peut-être légèrement différente ou à un profil d'acidité qui se marie bien avec une forte effervescence, la perte de ces bulles est un coup dur. Un Pepsi "flat" perd non seulement sa texture excitante mais aussi une partie de son bouquet aromatique et de sa vivacité. Il devient, littéralement, une version dégonflée de lui-même.
La température : le chef d'orchestre des saveurs
La température d'un aliment ou d'une boisson influence profondément la manière dont nos papilles gustatives et nos récepteurs olfactifs fonctionnent. Une boisson très froide, par exemple, anesthésie légèrement les papilles, ce qui peut masquer une partie de la douceur ou de l'amertume. C'est souvent pourquoi les boissons très sucrées sont meilleures servies glacées. Inversement, une boisson tiède ou à température ambiante permet une perception plus complète, voire plus intense, des saveurs.
Un Pepsi tiède, comme celui de l'anecdote, non seulement dépourvu de la fraîcheur attendue, mais aussi de ses bulles, présenterait ses saveurs de base de manière plus brute. Si sa douceur est l'un de ses attraits principaux, celle-ci pourrait devenir plus écoeurante ou moins agréable sans le contrepoint du froid et du piquant de l'effervescence. Parallèlement, le Coca-Cola, même également tiède et moins pétillant, pourrait voir son profil aromatique distinctif – souvent décrit comme ayant des notes plus prononcées de vanille et de caramel – se révéler et être perçu comme plus complexe ou satisfaisant dans ces conditions "dégradées". Le "goût caramel du Coke" mentionné ressortirait alors, moins masqué par les autres sensations.
Conclusion : l'art de la dégustation et la méthode scientifique du quotidien
L'expérience de La Ronde est une formidable illustration de la multi-sensorialité du goût. Ce que nous appelons "goût" est en réalité une construction de notre cerveau, intégrant les informations des récepteurs gustatifs (sucré, salé, acide, amer, umami), des récepteurs olfactifs (arômes), et des sensations trigéminales (texture, température, piquant). Modifier l'un de ces paramètres, comme l'effervescence ou la température, peut radicalement changer la perception globale.
L'analyse intuitive faite à l'époque – "Pepsi gagne pour son effervescence, mais sans ça, Coke a un meilleur goût" – est une application informelle de la méthode scientifique : observation d'un résultat inattendu, formulation d'une hypothèse basée sur des variables modifiées (perte de bulles, température), et conclusion. Cela démontre que la curiosité et l'analyse critique peuvent transformer une simple déception marketing en une leçon de science sensorielle. La prochaine fois que vous dégusterez votre boisson favorite, prêtez attention à ces détails ; vous pourriez être surpris de ce que vous découvrirez sur vos propres perceptions.
Bibliographie et lectures pertinentes
Voici une sélection d'ouvrages et de ressources (bien que je n'aie pas directement "utilisé" de liens externes pour générer ce texte, je peux vous fournir des références pertinentes sur le sujet) :
McGee, H. (2004). On Food and Cooking: The Science and Lore of the Kitchen. Scribner.
Un ouvrage de référence classique qui explique la science derrière la cuisine et la perception des aliments, y compris l'impact de la température et des textures.
Shepherd, G. M. (2012). Neurogastronomy: How the Brain Creates Flavor, and Why It Matters. Columbia University Press.
Ce livre explore comment notre cerveau construit la perception du goût à partir de multiples entrées sensorielles, en mettant l'accent sur le rôle dominant de l'odorat.
Spence, C. (2017). Gastrophysics: The New Science of Eating. Viking.
Un regard fascinant sur la manière dont tous nos sens, l'environnement, et même la vaisselle, influencent notre perception de la nourriture et des boissons. Il aborde des sujets comme l'impact du son (pensez au croustillant) et de la texture.
Lawless, H. T., & Heymann, H. (2010). Sensory Evaluation of Food: Principles and Practices. Springer.
Un manuel plus technique, mais fondamental pour comprendre les méthodes et les principes de l'évaluation sensorielle des aliments, y compris les aspects physiologiques et psychologiques de la perception.
Wise, P. M., Wolf, M., Thom, S. R., & Bryant, B. P. (2014). The Pungency of Carbonation: A Molecular Target for the Study of Trigeminal Irritation. In The Role of a Molecular Target in the Study of Trigeminal Irritation (pp. 1-20). Presidential Symposium, Association for Chemoreception Sciences. (Souvent cité dans des articles plus larges sur la carbonatation)
Bien que ce soit un article plus spécifique, il illustre le type de recherche menée sur la perception de la carbonatation et son lien avec le système trigéminal. Des ouvrages collectifs sur la chémoreception ou des chapitres de manuels de physiologie abordent également ces mécanismes. Un bon point de départ serait de chercher des revues scientifiques sur "taste perception", "carbonation sensory effects", et "temperature effects on taste".
Kurlansky, M. (2002). Salt: A World History. Penguin Books.
Bien que centré sur le sel, ce livre illustre brillamment comment un seul ingrédient gustatif a façonné l'histoire humaine et discute de la perception du goût dans un contexte plus large. Il montre l'importance d'un composant "simple" dans l'expérience gustative.
Ces ouvrages fournissent une base solide pour comprendre les mécanismes complexes qui sous-tendent une expérience aussi quotidienne que celle de boire un soda et d'en percevoir le goût.